mardi 19 mars 2024
AccueilActualitésSantéPatrick Rossignol, itinéraire d’un médecin-chercheur émérite

Patrick Rossignol, itinéraire d’un médecin-chercheur émérite

Publié le

Après quinze années passées à la tête du centre d’investigation clinique du CHRU de Nancy, le professeur Patrick Rossignol a choisi de poser ses valises en principauté au début de l’été 2022, pour prendre la direction du service de spécialités médicales néphrologie-hémodialyse au centre hospitalier princesse Grace (CHPG). Pour Monaco Hebdo, cet éminent chercheur a accepté de revenir sur son parcours, et sur les raisons qui l’ont poussé à rejoindre cet établissement monégasque.

À l’heure où le recrutement de personnel médical s’avère de plus en plus compliqué, le centre hospitalier princesse Grace (CHPG) a réussi un joli coup en parvenant à attirer dans ses filets une pointure pour son service de spécialités médicales-hémodialyse. Vacant depuis la nomination du docteur Christophe Robino à la tête du département des affaires sociales et à la santé, le poste de chef de service a en effet été confié au professeur Patrick Rossignol, qui a officiellement pris ses fonctions au cours du mois de juin 2022. Passé par l’hôpital européen Georges Pompidou à Paris, et plus récemment par le centre d’investigation clinique du CHRU de Nancy, ce médecin qui a fait des maladies cardio-rénales sa spécialité est aussi un éminent chercheur, auteur de plusieurs dizaines d’études. Son expérience et son expertise constituent un atout de choix pour l’hôpital de Monaco, toujours à la recherche de l’excellence médicale.

Patrick Rossignol
« Intégrer un nouvel établissement flambant neuf, de la plus haute technologie et possiblement de faire évoluer notre organisation est un défi très attrayant pour un médecin et pour une équipe médicale. » Patrick Rossignol. Chef du service spécialités médicales-hémodialyse au centre hospitalier princesse Grace (CHPG). © Photo CHPG

Un CV ronflant

Né à Caen en 1969, Patrick Rossignol est un néphrologue, médecin vasculaire et professeur de thérapeutique français. Après avoir fait son internat de médecine à Paris, il devient en 2003 praticien hospitalo-universitaire à l’hôpital européen Georges Pompidou dans le service de médecine vasculaire et hypertension artérielle. Cette spécialisation, le professeur Rossignol ne va cesser de la développer tout au long de sa carrière. D’abord au sein du centre d’investigation clinique (CIC) du CHRU de Nancy, où il occupera tour à tour le poste de médecin délégué, puis de directeur entre 2007 et 2022 : « Au CIC, j’avais des activités de recherches, d’enseignement et de soins essentiellement à travers des essais cliniques. C’est-à-dire des essais thérapeutiques sur des patients. Je n’ai également jamais cessé d’avoir une activité de consultation dans le domaine de l’hypertension artérielle au sein de ce que l’on appelle un centre d’excellence en hypertension. En France, une quinzaine de centres sont labellisés par la société européenne de cardiologie, dont le CHRU de Nancy et l’hôpital princesse Grace ». Dans ce centre de recherche, le spécialiste va tout particulièrement s’intéresser aux interactions entre le cœur et le rein, ce qu’on appelle les syndromes cardio-rénaux. À première vue, le lien entre les deux organes semble loin d’être évident, et pourtant : « J’ai coutume de dire que quand le cœur ne va pas bien, le rein ne va pas bien, et réciproquement. Car tous deux sont associés aux mêmes facteurs de risque (hypertension, diabète, obésité, dyslipidémies, exposition au tabac). Cette interaction étroite et ces liaisons dangereuses entre le cœur et le rein n’ont donc rien d’étonnant », explique le professeur Rossignol qui va créer en 2014 un réseau de recherche d’excellence spécialement dédié, baptisé INI-CRCT pour « Investigation Network Initiative – Cardiovascular and Renal Clinical Trialists ». Certifié et financé par le F-CRIN (French Clinical Research Infrastructure Network), il rassemble en son sein un collège d’experts issus de diverses spécialités : des néphrologues et cardiologues bien sûr, mais aussi des réanimateurs, internistes, médecins et chirurgiens vasculaires. « L’approche multidisciplinaire vise à combattre les complications cardiovasculaires des maladies rénales et les complications rénales des maladies cardiaques, indique ce médecin. Avant, nous étions en silos avec d’un côté les néphrologues et d’un autre les cardiologues. Notre angle d’attaque consiste donc à faire réfléchir ces différents spécialistes pour concevoir ensemble les essais les plus susceptibles d’avoir un impact à la fois sur le cœur et sur le rein ». Des essais auxquels participent activement les patients à la fois dans leur conception et dans leur réalisation, un « gage de réussite » pour le professeur Rossignol qui organise par ailleurs chaque année un congrès à l’ambassade de France à Washington pour amener chercheurs, agences réglementaires du médicament (américaine- Food and Drug Administration — et européenne — European Medicines Agency), et patients à échanger ensemble autour de ces essais cliniques et ainsi devenir plus efficients en la matière. Cette passion pour les essais cliniques, ce spécialiste l’a attrapée lors de son internat en néphrologie à Paris : « À l’époque, j’ai été sensible au fait que les cardiologues et les hypertensiologues aient une énorme acculturation des essais cliniques. Des preuves s’accumulaient sur la meilleure façon de traiter les patients et elles étaient basées non pas sur l’expérience clinique, mais sur les essais cliniques. C’est-à-dire une approche de la médecine basée sur les preuves. C’était quelque chose qui manquait beaucoup en néphrologie. C’est la raison pour laquelle j’ai créé ce congrès sur la conduite des essais cliniques parce que lorsque l’on regarde la globalité des essais cliniques dans toutes les disciplines, il y en a beaucoup moins en néphrologie, regrette-t-il. Ce qui m’a très vite attiré, c’était de pouvoir soigner mes patients, pas simplement avec l’expérience de mes maîtres qui m’apprenaient la discipline, mais également avec l’expérience des résultats d’essais cliniques contrôlés, randomisés, en double aveugle, c’est-à-dire avec le plus haut niveau de preuve ». En plus de ses casquettes de praticien, chercheur et enseignant, Patrick Rossignol cumule aussi celle d’entrepreneur. Dans la continuité de ses travaux sur les maladies cardiaques et rénales, le Normand a en effet fondé une start-up, CardioRenal, qui développe un dispositif qui pourrait bientôt révolutionner la prise en charge des patients atteints d’insuffisance rénale : « Nous avons conçu un appareil capable de mesurer le potassium dans une goutte de sang, ce qui permettra d’adapter les traitements du cœur et du rein. Car ces traitements ont un impact sur le potassium. Et avoir trop, ou trop peu, de potassium, ce n’est pas bon pour le cœur. L’idée, c’est donc que le patient réalise lui-même des mesures répétées à domicile pour obtenir une connaissance plus précise », détaille le professeur Rossignol. Les résultats des essais cliniques ont été présentés à l’occasion du dernier congrès European Renal Association, qui s’est tenu en mai 2022 à Paris. Les concepteurs espèrent désormais obtenir un marquage CE avant, pourquoi pas, une commercialisation de l’appareil en 2023.

« Ce qui m’a très vite attiré, c’était de pouvoir soigner mes patients, pas simplement avec l’expérience de mes maîtres qui m’apprenaient la discipline, mais également avec l’expérience des résultats d’essais cliniques contrôlés, randomisés, en double aveugle, c’est-à-dire avec le plus haut niveau de preuve »

Son arrivée à Monaco

En rejoignant le centre hospitalier princesse Grace, le professeur Rossignol ajoute donc une nouvelle ligne à un CV déjà impressionnant. Il retrouve à Monaco un service et une équipe qu’il avait eu l’honneur de visiter à deux reprises en 2016 et en 2018. À l’époque, l’ancien directeur du centre d’investigation clinique du CHRU de Nancy était venu rencontrer son ami, le docteur Christophe Robino, pour superviser un essai clinique baptisé Alchemist. « J’ai fait la connaissance du docteur Robino lors de mon internat à Paris. Et nous avons depuis gardé un lien amical et professionnel grâce aux travaux de recherche que j’ai conduits avec le réseau INI-CRCT. Une concrétisation a été l’essai clinique Alchemist [il vise à déterminer la tolérance et l’efficacité d’un médicament ancien et connu « la Spironolactone » pour réduire les risques cardiovasculaires, chez les patients atteints d’insuffisance rénale chronique terminale en hémodialyse, par comparaison au placebo – NDLR]. Il s’agit d’un essai clinique que nous avons écrit au début des années 2010 et que nous avons lancé en 2013, se souvient Patrick Rossignol. Il nous fallait 825 patients recrutés sur toute la France et nous avions l’ambition d’en faire un essai international. J’ai donc contacté le docteur Robino pour évaluer la possibilité qu’il puisse aussi conduire l’essai à Monaco. Et grâce à son soutien et à celui du centre scientifique, nous avons obtenu un financement pour que des patients du CHPG puissent participer à l’étude, dont Christophe Robino a été l’investigateur avec le docteur Davin ». Cet essai clinique se terminera au mois de novembre prochain avant une publication des résultats prévue pour le début de l’année 2023 : « Quoi qu’il arrive, il s’agira du plus grand essai clinique jamais conduit, se félicite le chercheur. Grâce à la participation de Monaco et de la Belgique, cet essai international donnera un très haut niveau de preuve, quels qu’en soient les résultats ». Fort de cette collaboration professionnelle et de cette amitié de longue date, c’est donc tout naturellement vers le professeur Rossignol que Christophe Robino s’est tourné lorsqu’il a fallu lui trouver un successeur à la tête du service spécialités médicales-hémodialyse. Et le principal intéressé, alors en pleine réflexion sur la suite à donner à sa carrière, n’a pas mis longtemps à manifester son intérêt. « Nous avons un lien amical, de confiance et de respect, et nous partageons des valeurs communes au service des malades dans l’excellence des pratiques. Nous avons eu des maîtres communs en néphrologie à l’hôpital Necker. Lorsque Christophe m’a présenté à nouveau son service et le centre d’hémodialyse privé sur le port, j’ai donc reçu ces informations en toute confiance », raconte Patrick Rossignol reconnaissant avoir été séduit à plus d’un titre par l’offre monégasque. « Le fait qu’il dirige un service des spécialités médicales était très attractif. La proposition n’était pas seulement de diriger un service de néphrologie, mais de diriger un service des spécialités médicales qui regroupe à la fois de la neurologie, de la diabétologie, de l’endocrinologie, de la dermatologie en plus de la néphrologie. L’approche était globale et ressemblait tout à fait à ce que j’essayais de promouvoir dans notre réseau de recherche. Passer d’une activité de recherche prédominante à une activité de soins prédominante, mais sans pour autant laisser tomber mes activités de recherche, qui plus est dans un contexte de soins et d’excellence, c’est un vrai projet ambitieux et très attractif. Surtout dans ce cadre prestigieux du CHPG », insiste le médecin-chercheur. La perspective d’intégrer très prochainement le nouvel hôpital a également fait mouche auprès de l’ancien Nancéien : « C’est un élément d’attractivité majeur. Intégrer un nouvel établissement flambant neuf, de la plus haute technologie et possiblement de faire évoluer notre organisation est un défi très attrayant pour un médecin et pour une équipe médicale. Je l’ai déjà vécu quand j’étais interne. Nous avions intégré (l’hôpital) Georges Pompidou quand il a été ouvert. Je me rappelle avoir accueilli le premier malade hospitalisé. Entrer dans un nouvel hôpital est vraiment exceptionnel dans une carrière ».

« Passer d’une activité de recherche prédominante à une activité de soins prédominante, mais sans pour autant laisser tomber mes activités de recherche, qui plus est dans un contexte de soins et d’excellence, c’est un vrai projet ambitieux et très attractif »

Ses projets pour le service

En attendant de prendre possession des nouvelles installations, Patrick Rossignol regorge d’idées pour perfectionner le service et lui donner de l’envergure. « Mes projets s’intègrent dans la dynamique du nouveau CHPG. L’enjeu, c’est de développer l’activité du service et de la maintenir en adéquation avec les besoins de la population monégasque », lance-t-il. Avant de détailler le fond de sa pensée : « La tendance forte des dernières années est de faciliter les séjours ambulatoires, c’est-à-dire avec des hospitalisations les plus courtes possibles. L’idée, c’est donc de développer l’hospitalisation de jour mais sans obérer les capacités à garder hospitalisés aussi longtemps qu’il le faut des patients dont les soins nécessitent d’être hospitalisé plusieurs jours. Il faut réussir à trouver un équilibre ». En parallèle, le néphrologue compte également poursuivre ses recherches, voire même en lancer de nouvelles avec l’appui du CHPG : « Ce retour à davantage d’activité clinique représente pour moi une énorme opportunité en termes de recherches. Cette nouvelle immersion dans les soins, y compris dans cette composante multidisciplinaire, va être l’occasion de me reposer de nouvelles questions et de tenter d’y répondre avec mes collègues ici et ailleurs, puisque nous ne faisons plus de recherches monocentriques ». L’étiquette Monaco peut-il alors lui faciliter la tâche, notamment pour obtenir des financements ? Le praticien veut y croire : « Je formule ce vœu mais je n’ai pas encore d’éléments de réponse. À Nancy, nous avions développé une collaboration avec la Fondation de l’université de Lorraine pour pouvoir trouver des moyens financiers supplémentaires pour nos recherches. Par exemple, nous avons fait appel à du mécénat. Nous avons aussi créé une association du Cœur au Rein, qui organise un circuit de vieilles voitures et de véhicules d’exception au profit de la recherche sur les maladies cardiorénales avec la participation des patients. Lors de la 5ème édition, qui a eu lieu le 4 septembre dernier, entre 120 et 130 voitures ont fait 250 kilomètres, en plusieurs étapes, dont le CHU de Nancy. Cette approche collaborative entre des chercheurs, des patients, des instituts qui proposent des financements auxquels nous répondons par des dossiers d’appel d’offres et par cette approche de mécénat, je l’ai mise en place à Nancy et je souhaite la développer également à Monaco. J’imagine que la principauté est un site propice pour mobiliser les énergies, y compris en soutien de la recherche ». Patrick Rossignol n’en oublie pas pour autant ses travaux à Nancy qu’il n’entend pas laisser tomber de sitôt. Le praticien a en effet tout organisé pour pouvoir en assurer une continuité : « Je vais continuer à les superviser. Quand j’étais à Nancy, j’étais l’unique coordonnateur. Désormais, nous sommes trois [son adjoint au CIC et une chercheuse basée à Lille sont devenus co-coordonnateurs du réseau de recherche — NDLR]. Plusieurs projets de recherche vont s’achever dans les prochains mois, dont nous allons devoir exploiter les résultats. D’autres vont être lancés dans le domaine des maladies rénales chroniques. Il s’agit d’études internationales mais à participation française. Je pourrai les piloter depuis Monaco ». Le CHPG pourra-t-il aussi en profiter ? « Je ne sais pas encore si les équipes monégasques y participeront, avoue Patrick Rossignol. Parce que faire participer un pays de plus nécessite de franchir des étapes supplémentaires. Nous allons donc déjà essayer de lancer le paquebot de ces études dans les dizaines de centres en France. Mais s’il y a une fenêtre d’opportunité, comme pour Alchemist, de faire participer Monaco, nous la saisirons bien sûr ».

« J’ai 53 ans, je souhaite réaliser une partie de carrière significative ici. Mon ambition, c’est vraiment de bâtir de façon durable à Monaco »

« Bâtir de façon durable à Monaco »

Mener de front une activité de médecin et de chercheur, sans oublier la direction du centre d’hémodialyse privé (CHPM) dont il a également repris la gérance, n’effraie pas outre mesure le professeur Rossignol, habitué à devoir absorber une charge de travail conséquente. Le praticien a organisé son emploi du temps en conséquence, le calquant peu ou prou à celui de son prédécesseur qui cumulait lui aussi plusieurs casquettes : « Le docteur Robino avait des activités de conseiller national. Ce qui ne sera pas mon cas. Donc sur le temps que le docteur Robino consacrait à ces activités, moi je ferai de la recherche. Il était par ailleurs membre du conseil de l’ordre, du syndicat des médecins, et était particulièrement impliqué dans la vie de l’hôpital autour de la commission médicale. Soit autant de responsabilités que je n’aurai pas et qui me permettront de consacrer du temps à la recherche. Sachant que mon activité est de façon évidente liée à l’activité de ces deux services et la recherche passe en deuxième ligne. Mais j’ai fait ce choix en toute conscience ». Actuellement, Patrick Rossignol bénéficie d’une disponibilité de deux années offertes par la fonction hospitalo-universitaire. « C’est-à-dire qu’au bout de deux ans maximum, je devrai faire un choix. Si je reviens [au CHRU de Nancy] au bout d’un an, je suis sûr de récupérer mon poste. Et au bout de deux ans, je suis sûr de récupérer un poste. On a donc toujours la possibilité de revenir dans les deux ans ». Pour autant, le néphrologue envisage déjà de prolonger l’aventure en principauté : « J’ai 53 ans, je souhaite réaliser une partie de carrière significative ici. Mon ambition, c’est vraiment de bâtir de façon durable à Monaco », prévient-il. La perspective de pouvoir à nouveau collaborer avec son ami, Christophe Robino, n’est pas pour déplaire au nouveau chef de service, qui se dit prêt à partager son fauteuil avec le conseiller-ministre aux affaires sociales et à la santé : « Qu’il soit au ministère ou dans le service, je serai ravi de retravailler avec lui. […] De mon côté, je suis adaptable. Les organisations humaines doivent être suffisamment flexibles pour perdurer par-delà les mouvements des uns et des autres. C’est ce qu’a réussi à faire le docteur Robino en contribuant à identifier une personne susceptible de lui succéder. Je ne suis pas inquiet pour le futur, quelle que soit la configuration pour le docteur Robino ».